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Il y a deux ans, dans le numéro du mois de mars 2012, je vous parlais de la restauration de la synagogue Slat Lkahal. Les travaux avancent et témoignent d’une vraie volonté de préserver la mémoire de la ville.
Le patrimoine bâti d’Essaouira par ses consulats et ses lieux de culte témoigne d’une époque de cohabitation et de dialogue des cultures. Mosquées, synagogues et églises rappellent ces époques d’échanges, attestant de la qualité de terre de rencontres, de mélanges, regroupant des populations arabes, juives, berbères, africaines ou européenne dans la ville. Néanmoins il est à déplorer que ce patrimoine tombe en ruine et que de nombreux bâtiments chargés d’histoire disparaitront tôt ou tard.
Dans un esprit de sauvegarde du patrimoine juif de la ville Haïm Bitton a entrepris voilà deux ans une opération de renaissance de la synagogue Slat Lkalhal.
Celle ci se situe à l’extrémité Nord du Mellah, après l’arche qui est au bout du terrain dégagé, en venant de Bab Doukkala et en rentrant à droite, au Mellah.
Souiri d’origine, Haïm Bitton vit en Californie. Il lance ce projet de réhabilitation et de sauvegarde de la seule synagogue communautaire de la ville d’Essaouira sur plus d’une quarantaine inventoriée dans la ville, de taille plus ou moins importante. Les travaux de la synagogue Slat Lkahal ont commencé sur les fonds propres de Haïm Bitton animé par une grande détermination.
Une association a été créée dans le but de trouver les financements pour œuvrer à sa préservation ; des juifs mogadoriens du monde y participent déjà, la solidarité est puissante et les liens très forts. Plus de 30 tonnes de gravats évacués des lieux, le plafond s’écroulait, infiltré et détruit par le temps et la pluie. D’un état de délabrement avancé la synagogue aujourd’hui a tout le toit de refait, de repeint. La salle de culte est quasi entièrement terminée. Le retable a été décapé, les murs nettoyé et les motifs anciens, motifs que l’on retrouve sur les actes de mariage juifs, ont été repeints à l’identique. Ce lieu de culte possède un retable ou arche (heikhal en hébreu) en bois travaillé, de facture italienne et non locale, baroque, en provenance de Livourne, en relativement bon état mais nécessitant restauration et peinture. Aujourd’hui il a été décapé, nettoyé, mais il manque les portes volées voici longtemps. Le heikhal Attia, de style victorien provenait lui de Manchester du fait des échanges intenses entre Essaouira et l’Angleterre.
Sauvegarder ce qui existe encore est le premier mot d’ordre. Cette synagogue fut construite pour l’arrière grand-père d’Asher Knafo, rabbin érudit, enterré dans le vieux cimetière juif de la ville et membre de la confrérie du « dernier devoir » (laver, préparer, enterrer les morts). Les juifs de la ville, par tradition de charité, car c’était bien la raison de ces dons, charité envers les décédés par l’obole remise aux gens de la « Hevra », cette « amicale » assemblée de volontaires qui rendaient les services funéraires, donnaient l’obole lors des enterrements que le bedeau se chargeait de collecter. Seule cette synagogue fut construite avec des fonds publics. C’est à cette époque que la confrérie aurait acheté avec cet argent le terrain puis fait construire le bâtiment, lieu d’accueil communautaire, un des seuls à se trouver dans ce quartier Nord de la ville (avec la synagogue Haïm Pinto toute proche), les juifs riches étant établis au Sud de la ville.
Siège d’une organisation sociale, en particulier pour les enfants nécessiteux de la communauté à qui l’on apprenait, entre autre, à parler et écrire l’hébreu. Haïm Bitton l’a lui aussi appris ici et de ce fait reste très attaché à ce lieu de culte et motivé par sa restauration. Comme de nombreux juifs du Maroc, il quitte la ville en 1964 avec sa famille, dernière grosse vague d’immigration vers Israël après un relâchement des autorités suite au naufrage à Tanger d’une quarantaine de personnes juives et sous la pression des juifs marocains. Les premiers immigrants quittent le Maroc entre 1948 et 1958. Quelques familles demeurent à Mogador jusqu’en 1972, date de la dernière minyen ou quorum, qui accueillit 10 personnes (minimum imposé de participants) dans la Slat Lkalhal. La porte se ferma derrière eux définitivement.
Il se libère de l’endroit un infini charme, une atmosphère de recueillement paisible. Il est intéressant d’observer la salle de prières de la synagogue, vaste et quasi carrée de 8 m de côté. Au fond le heikhal de bois, dans lequel du papier journal peint en bleu a mis à jour des quotidiens de 1956, deux colonnes centrales au milieu desquelles se trouvait la teba et sur lesquelles s’appuie la toiture, légèrement décalée afin d’être visible de tous. La salle disposait d’un éclairage central accroché aux poutres fait de grands verres fabriqués en Bohême (le royaume tchèque d’autrefois, connu pour le travail du cristal) : les gens payaient pour les remplir d’eau, d’huile et de mèches, sortes de « mariposa », cela avant l’arrivée de l’électricité dans la ville. Prochainement des verres seront réinstallés, une cinquantaine, fabriqués en Chine et avec des bougies électriques et des plaques de résine jaune à la place de l’huile. « Mariposa » modernes !! Mais l’esprit demeurera.
Tout autour de la salle des bancs de bois. D’autres bancs étaient disposés dos à dos au centre de la pièce autour de la teba, plus de 100 hommes pouvaient s’y tenir et une trentaine de femmes sur le balcon supérieur, ainsi que dans une chambre attenante. Aujourd’hui on peut voir sur les murs de la salle des fenêtres occultes : elles donnaient auparavant dans les maisons et les voisins pouvaient voir ou entendre les prières sans se déplacer.
Dans la mesure où il n’existait aucun lieu assez spacieux pour construire cette synagogue communautaire, elle fut édifiée sur un terrain entre deux maisons, d’où les deux seules colonnes centrales de soutènement. Des poèmes liturgiques écrits en hébreu par des mogadoriens étaient lus et chantés chaque vendredi jour de shabbat, sur des airs arabo andalou et sans accompagnement musical. Le jeune Haïm Bitton s’y rendait avec son père et en garde un souvenir ému. Dans les tumultueuses années 50, ce lieu de culte servait également de lieu de réunion. La création de l’état d’Israël y généra discussions, cours gratuits de talmud ou d’hébreu moderne. Dans les mémoires le lieu était toujours animé, vivant et nourrissant les échanges. La réfection du sol est en cours, plafond de tag (branches de bois) sur lequel est disposé de la terre, de la sciure pour durcir et aplanir le tout, sur lequel seront posés des carreaux de ciment faits à la main comme à l’époque et comportant les mêmes motifs et couleurs.
Au-delà de ses activités cultuelles et culturelles, la restauration de ce lieu de mémoire historique contribuera sans conteste à restituer le caractère multiconfessionnel d’Essaouira en réaffirmant le statut de terre de tolérance et de paix au Maroc. Une fois ouvert au public la synagogue sera lieu de culte et musée. Un lieu à sauver à Essaouira et toutes les bonnes volontés peuvent s’y joindre.
Si cela vous intéresse de la visiter, de contribuer à sa remise en état, ou pour tout contact rendez vous à la synagogue, à l’entrée de la grande place du mellah au Nord-ouest de la ville, juste avant le sabbah. Sur la porte, des numéros de téléphone. En ce moment, les travaux avancent et souvent la porte est entrouverte.