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Essaouira a décidé de ne rien céder de sa superbe, pour cultiver et afficher sans complexe ni retenue sa différence et sa singularité. Par l’intercession des artistes de la création souirie, la ville d’Essaouira et sa communauté artistique nous entraînent, ravis, dans un tourbillon esthétique et mental des plus réjouissants, que rien ne semble pouvoir ni vouloir arrêter.
Peintures et sculptures dont l’audace, la cohérence et l’exceptionnelle créativité plastique ne cessent d’impressionner, ces artistes dits “singuliers”, fidèles à l’esprit de leur patrie, offrent à notre regard un art libre et splendide : celui du métissage et du brassage des cultures, des univers et des formes, dans ce mouvement qui exprime la vie par sa fraîcheur et sa force.
“Avant, j`étais berger, puis maçon, et maintenant, je me définis comme un artiste”, expliquait Ali Maimoune il y a peu, avec ce mélange d’humilité, de courage et de sérénité si caractéristique d’une certaine manière des créateurs de la ville, engagés tôt ou tard dans la “voie des arts”, après des années passées souvent à une toute autre activité… Sans doute l’art d’Essaouira – si éloigné, par son contexte, ses sources d’inspiration et ses productions, des cimaises ou white cubes occidentaux – tient-il là (une part de) son secret et de sa hauteur, de son souffle : dans ce mouvement de nécessité intérieure et de vie, d’émerveillement et de pratique solitaire, entièrement tendue, au fil des années, vers la création et l’approfondissement d’une singularité.
Essaouira, ville marocaine de bord de mer, de pêche, d’artisanat, de campagne, offre un cadre spécifique et, quoique splendide, “offshore” – excentré. Or, il est bien évident que le contexte détermine essentiellement toute démarche et toute production artistiques. Lorsqu’on arrive ICI – à la joutiya, par exemple, où opèrent certains artistes de la ville : marché aux puces et ruche artistique, entre zone industrielle et grève balayée par le vent – on se dit que les créateurs souiris ne sont pas forcément privilégiés.
Considérons, par exemple, l’ancien agriculteur devenu peintre, travaillant près du dromadaire qui active la roue du pressoir à olives (Babahoum, si subtil et inventif, par-delà l’apparente naïveté de ses compositions), le menuisier passé du côté de l’art et de la “non fonction” de ses pièces de bois (Moumen Regragui), le pêcheur et peintre (Azzenine Sanana), l’ancien cordonnier ou le fils de musicien gnawa, peintres eux aussi (Taloufate, Mohamed Tabal) : les créateurs d’Essaouira, taiseux parfois, voire marginaux, sont des êtres habités et discrets.
Leur position se fonde sur une nécessité intérieure et ils la tiennent, littéralement, contre vents et marées. Bien sûr, il s’agit là d’une décision de vie difficile : comme une version maritime de “la bohème”, rude – et moderne, s’il en est : “l’art pour l’art” en mode souiri. Des artistes à découvrir dans les petites galeries de la ville, les ateliers, en ville, à la campagne ou à la joutiya, marché à la brocante, dans le quartier industriel au Nord de la ville.